Avec le temps, va, tout s’en va...
Certes, mais dès que l’on pénètre dans l’atelier de Dominique Mouret, le temps semble suspendu… arrêté.
Une trentaine de pendules sont là pour être soignées par les mains expertes de Dominique Mouret, pendulier à Sainte-Croix, et son collaborateur Nicolas Uhl.
Ici on a le temps, on n'a pas de stress. Le travail sur les pendules demande du tact, de l’observation. Le client n’est jamais pressé, il sait qu’il faut donner du temps au temps.
Quand on nous confie une pendule, nous explique Dominique Mouret, la première chose à faire est d’étudier son histoire, afin de la situer dans son contexte.
En effet, il n’existe aucun mode d’emploi (un mot barbare pour Dominique). Il faut souvent totalement recréer une pièce, que ce soit une roue dentée, une aiguille ou même une vis…
Une vis, cela paraît simple... mais selon l’époque à laquelle la pendule a été fabriquée, pas de système métrique interchangeable, pas de normes; chaque atelier avait son propre système de filetage. Il faut donc recréer totalement la vis.
Tendre à cœur, mais très dur à l’extérieur, me dit Nicolas, comme s'il me parlait d’une friandise.
C’est là qu’intervient la culture du toucher, le ressenti de la matière. C’est tout un apprentissage, lent, patient, nous confie Nicolas, l’homme qui a la noble tâche de reprendre l’atelier. Là, on a évoqué la nouvelle vie d’une vis. Mais cela peut tout aussi bien être une aiguille, ciselée, dorée... compliquée à souhait... qu’il faut recréer.
Un autre exemple ?
Certaines pièces possèdent un tout petit soufflet (comme ceux pour attiser un feu, mais minuscule) qui permet de faire chanter un oiseau mécanique. Or ces soufflets sont réalisés avec de la peau d’agneau mort-né. Si on ne sait pas cela, si cette information manque, il est impossible de réparer ce mécanisme. Aucune autre matière ne peut être utilisée pour élaborer des soufflets si petits, si fins…
En quittant Sainte-Croix, je me dis que ces pendules, qui ont vu tant d’âmes défiler devant elles, sont entre de bonnes mains.
Elles nous survivront, elles sont éternelles… ces gardiennes du temps !
Sainte-Croix, l'histoire de toutes les passions
par la rédaction
Donner vie aux rêves mécaniques
Nichée au cœur de l’Arc jurassien, la région de Sainte-Croix fut résolument horlogère au XVIIIe et XIXe siècle. En 1878, on y dénombrait pas moins de 23 fabricants qui occupèrent 1000 ouvriers pour une production de 23000 montres.
Dans les années 50, l'industrie de Sainte-Croix se diversifia dans d'autres activités, dont les gramophones, les postes de radio, les caméras et les machines à écrire, pour n’en citer que quelques-unes mondialement réputées.
Face à une concurrence effrénée, une page se tourna sur une ère nouvelle d’une autre dimension, mais pleine de promesses.
Au début des années 1970, les boîtes à musique et les automates mécaniques vécurent un tournant décisif.
Sur l'impulsion de Frédy Baud (Musée de musique mécanique, à l’Auberson) et de Guido Reuge (directeur de la société Reuge), l’arrivée à Bullet du célèbre créateur et restaurateur d’automates mécaniques parisien Michel Bertrand mit du baume au cœur. Son génie créateur lui valut une renommée mondiale et ses œuvres resteront à jamais une source d'inspiration pour ses successeurs.
L’horlogerie n'a connu son nouvel élan qu'un peu plus tard. Un heureux concours de circonstances qui réunit à Sainte-Croix les «virtuoses du temps» contemporains, attirés par cet univers si particulier.
Le réseau de Sainte-Croix
C’est entre autres grâce à Michel Bertrand et René Marguet, alors syndic de Sainte-Croix, que le CIMA (Centre International de Mécanique d’art) vit le jour en 1985.
C’est ici qu’entre en scène Dominique Mouret, formé à l’horlogerie, et plus particulièrement à la pendulerie. Ce Français d’origine au talent déjà confirmé réalise alors un stage d’une année au Musée d’horlogerie du Locle, suivi de deux années au Musée d’horlogerie de la Chaux-de-Fonds. Ses compétences ne passent pas inaperçues. Lors d’une visite à Michel Parmigiani, celui-ci lui parle du CIMA, alors en quête de spécialistes pour restaurer ce patrimoine unique au monde, et l’encourage à s’établir à Sainte-Croix.
C’est le début d’une grande aventure qui réunit, dans des ateliers indépendants au musée, des artisans aux compétences multiples dans des domaines tels que l'horlogerie, la restauration de pendule et pendulettes, les automates, les oiseaux chanteurs, la musique mécanique, les orgues… pour n'en citer que quelques-uns.
Cet épisode fait de rencontres et d'amitié scella le destin de la mécanique d'art et de la nouvelle horlogerie de Sainte-Croix.
Pour évoluer, il faut s’entourer des meilleurs
Tout s’enchaîna très vite. En 1988, attiré par les compétences des artisans du CIMA, le célèbre horloger marseillais François-Paul Journe vint à Sainte-Croix dans l’idée de créer des pendules «sympathiques» d’exception à l’intention des grandes marques horlogères. Le terreau fertile de Sainte-Croix lui semblait idéal pour concrétiser son rêve. C’est à Dominique Mouret, spécialisé dans la restauration des pendules à complications, qu’incombe alors la noble tâche de diriger ce nouvel écrin avec la complicité de son ami Pascal Courteault, habile négociateur en haute horlogerie. En 1989, THA (Techniques horlogères appliquées) fut créée à Sainte-Croix.
Cette période riche en prouesses mécaniques et en relations humaines offrit la visite de virtuoses de tous horizons, parmi lesquels George Daniels, Philippe Dufour, Frank Muller et Félix Baumgartner. Une aventure qui marqua également à tout jamais le destin de plus de 35 collaborateurs, dont Fabrice Calderoli, Nicolas Court, Denis Flageollet, Pierre-André Grimm, Vianney Halter, Sylvain Pinaud, figures de proue de la nouvelle horlogerie et de la mécanique d’art à Sainte-Croix, avec l’incontournable François Junod, déjà actif dans son remarquable atelier.
Entrepreneurs dans l’âme, ces tempéraments forts qui ont tous contribué à la réputation de THA ont naturellement créé au fil du temps leurs propres fleurons. Ils transmettent aujourd’hui avec passion leur savoir aux nouvelles générations, cultivant ainsi l’esprit de Sainte-Croix.
C’est en 2007 que Bucherer Montres acquit THA pour fortifier sa position sur le marché de l’horlogerie haut de gamme.
Voir à travers le temps
Dominique Mouret a toujours exercé dans son atelier à Sainte-Croix, en parallèle de THA, avec son épouse Ariane, chargée des recherches historiques et de la documentation des pièces. Reconnu dans la restauration de pendules anciennes, notamment à musique, à jeux de flûtes et à automates, il collabore avec des musées d’horlogerie et entretient des collections privées du monde entier, avec la complicité et la vision de Nicolas Uhl, qui assure avec talent la relève de cet atelier hors du temps.
À suivre…
Depuis le 16 décembre 2020, les «savoir-faire en mécanique horlogère et mécanique d’art» sont inscrits sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO.
Communiqué du CIMA
Page de l'UNESCO
À la question «En quelle année les savoir-faire en mécanique horlogère et mécanique d’art ont-ils été inscrits au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO?», la bonne réponse était «2020». En jeu...
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