Le chant clair d’un sabot sur la chaussée. Il est à peine 8 heures, en ce matin de juin, trop tôt pour une randonnée. Je me penche à la fenêtre pour voir quel est ce matinal cavalier. Et là, je dois me pincer, croyant rêver. Assis sur son char, à l’avant d’un impressionnant chargement de bois, un homme au large chapeau me sourit, m’adressant un amical signe de la main en passant. Une vision fugitive, comme un retour sur image aux temps héroïques de nos arrière-grands-parents, avant l’invention du moteur à explosion. Je suis du regard la lente progression de l’attelage, qui s’éloigne en direction de Juriens. La forêt avale le cheval, l’homme, puis tout le chargement. Le chant du sabot décline peu à peu, et se perd dans le vallon du Nozon.
La lumière est pure, après la pluie des derniers jours.
Les alpes semblent toutes proches, dans l’air lavé de ses impuretés. Dans l’herbe tendre, deux veaux nouveau-nés s’ébrouent en toute liberté, indifférents à la beauté du paysage. Sur la droite, la fine bande du lac Léman s’étend sur l’horizon; sur la gauche, le bleu profond du lac de Neuchâtel semble nous tendre les bras.
La charrue avance vite, et il faut s’accrocher pour tenir le rythme de l’équipage.
Au bout de chaque sillon, il faut saisir le versoir, et faire basculer l’outil pour une nouvelle traversée: «Voilà, c’est bien comme ça!» L’homme au grand chapeau encourage le néophyte, qui prend peu à peu confiance au fil des nouveaux sillons.
La terre grasse fraîchement retournée sent bon. Encore deux ou trois passages, et le champ sera prêt à accueillir les jeunes plantons de pommes de terre. Dans les arbres alentour, les oiseaux vaquent à leurs occupations quotidiennes.
La neige fraîche, tombée en abondance durant la nuit, recouvre toute la forêt. Un profond silence règne sur cette blancheur, rompu de loin en loin par la chute feutrée de paquets de neige. En approchant des contreforts boisés du village de Premier, le promeneur discerne une animation insolite. C’est encore lui, notre homme au grand chapeau, coiffé pour la saison d’un bonnet de fortune. Aidé de son fidèle compagnon, il débarde du bois le long de la pente. Chaque geste est mesuré, et la complicité entre le cheval et l’homme est parfaite. Les branches glissent sans encombre le long du couloir, et viennent s’amonceler à côté de la route. S’arrêtant un moment pour reprendre souffle, les corps de l’homme et de la bête font une légère fumée dans l’air glacé.
La vaste ferme de monsieur Bader est située au cœur du village, juste à côté de l’école. La toiture couleur de rouille s’accorde harmonieusement avec la saison. L’atelier de luthier est derrière la ferme, un peu caché. La lumière filtre à travers la fenêtre, et je distingue notre homme à son établi, la tête baissée sur son ouvrage. Quelques coups légers frappés à la porte de bois, et son bon visage apparaît dans l’encadrement de la porte: «Bonjour, bonjour! Entrez…» La voix est chaleureuse, teintée d’un léger accent qui dit ses ascendances germaniques. J’entre pour la première fois dans son atelier, et c’est un grand bonheur. La lumière rasante donne à ces lieux une ambiance de tableau de Rembrandt. Dans cet espace privilégié, hors du temps, rien ne vient rompre l’harmonie des lieux.
Article réalisé pour le magazine Nous Autres par:
Né à Lausanne en 1961.
Étudie d’abord les lettres et l’archéologie à l’UNIL, puis bifurque vers la théologie pour obtenir sa licence en 1985.
Après l’obtention de sa licence, ne souhaitant pas se tourner vers le pastorat, il travaille 10 années dans le social et voyage passablement.
En 1996, il s’oriente vers l’archéologie et travaille sur le chantier lacustre de Concise. Il se spécialise sur le tas pour devenir photographe archéologique, métier qu’il poursuivra sur le grand chantier terrestre d’Onnens, sur le futur tracé de l’autoroute A5.
À la fin des grands travaux autoroutiers et Rails 2000, les postes en archéologie deviennent rare, et une nouvelle orientation s’impose.
Durant quelques années, il dévient conservateur du Musée du fer de Vallorbe, puis il fonde le magazine NOUS AUTRES avec Laurent Bailly, et occupe le poste de rédacteur en chef, tandis que son complice est responsable de la ligne artistique.
Une dernière reconversion s’impose à la fin de l’aventure du magazine Nous Autres, et il exerce enfin la profession de … garde-bains dans la région lausannoise. Une manière de terminer en douceur un parcours professionnel contrasté.
Fil conducteur de toute une vie, il poursuit avec passion ses recherche en peinture artistique depuis bientôt trois décennies. Dans un travail pictural très personnel et intuitif, il cherche à traduire des émotions dans des paysages et des marines parfois proches de l’abstraction. Il peint également des Têtes depuis 1998, dans un puissant travail expressionniste et ontologique (elles ornent les étiquettes de la cuvée les Déracinées du vigneron et encaver d’Onnens Camilien Gaille). Il expose régulièrement ses peintures en galerie, en particulier à la galerie du Vieux Pressoir d’Onnens chez son ami et complice Michel Kunz.
Découvrez quelques-unes de ses œuvres sur Instagram:
Philippe Jean
Philippe Jean Heads
Très tôt après ma formation de photographe, je me suis engagé dans une approche documentaire autour de l’humain, de sa vie et de ses activités. Avec des reportages de longue durée, j’essaie de privilégier la rencontre et le témoignage, avec un intérêt narratif, mais aussi esthétique.
Pendant plus de vingt ans, j’ai été responsable de la section photographique du Centre audiovisuel du CHUV (Centre hospitalier universitaire vaudois) à Lausanne, puis réalisateur vidéo dans le cadre de ce même service. J’ai pu y réaliser de nombreux documents, tels que flyers, brochures et magazines d’information, rapports annuels, sites web, films d’information et de communication, etc.
Maintenant indépendant, je partage ma vie entre la Suisse et l’Afrique australe, où la photographie de la vie sauvage a pris une part importante dans mon travail, et j’essaie d’en exprimer la beauté et la plénitude. En Suisse, mon travail s’oriente autour de portraits, reportages ou images documentaires.
À la question «à qui s'adressent les installations de Delphine Costier dans les cabines téléphoniques de la ville» la bonne réponse était bien entendu «à l'imaginaire du public». Félicitations à Me...
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